samedi 30 août 2008

La grammaire est une chanson douce - Erik Orsenna [extrait]


Les mots dormaient.
Ils s’étaient posés sur les branches des arbres et ne bougeaient plus. Nous marchions doucement sur le sable pour ne pas les réveiller. Bêtement, je tendais l’oreille : j’aurais tant voulu surprendre leurs rêves. J’aimerais tellement savoir ce qui se passe dans la tête des mots. Bien sûr, je n’entendais rien. Rien que le grondement sourd du ressac, là-bas, derrière la colline. Et un vent léger. Peut-être seulement le souffle de la planète Terre avançant dans la nuit.
Nous approchions d’un bâtiment qu’éclairait mal une croix rouge tremblotante.
-Voici l’hôpital, murmura Monsieur Henri.
Je frissonnai.
L’hôpital ? Un hôpital pour les mots ? Je n’arrivais pas à y croire. La honte m’envahit.
Quelque chose me disait que, leurs souffrances nous en étions, nous les humains, responsables. Vous savez, comme ces Indiens d’Amérique morts de maladies apportées par les conquérants européens.
Il n’y a pas d’accueil ni d’infirmiers dans un hôpital de mots ; Les couloirs étaient vides. Seule nous guidaient les lueurs bleues des veilleuses. Malgré nos précautions, nos semelles couinaient sur le sol.
Comme en réponse, un bruit très faible se fit entendre. Par deux fois. Un gémissement très doux. Il passait sous l’une des portes, telle une lettre qu’on glisse discrètement, pour ne pas déranger.
Monsieur Henri me jeta un bref regard et décida d’entrer.
Elle était là, immobile sur son lit, la petite phrase bien connue, trop connue :
Je t’aime
Trois mots maigres et pâles, si pâles. Les sept lettres ressortaient à peine sur la blancheur des draps. Trois mots reliés chacun par un tuyau de plastique à un bocal plein de liquide.
Il me sembla qu’elle nous souriait, la petite phrase.
Il me sembla qu’elle nous parlait :
-Je suis un peu fatiguée. Il paraît que j’ai trop travaillé. Il faut que je me repose.
-Allons, allons, Je t’aime, lui répondit Monsieur Henri, je te connais. Depuis le temps que tu existes. Tu es solide. Quelques jours de repos et tu seras sur pied.
Il la berça longtemps de tous ces mensonges qu’on raconte aux malades. Sur le front de Je t’aime, il posa un gant de toilette humecté d’eau fraîche.
-C’est un peu dur la nuit. Le jour, les autres mots viennent me tenir compagnie.
« Un peu fatiguée », « un peu dur », Je t’aime ne se plaignait qu’à moitié, elle ajoutait des « un peu » à toutes ses phrases.
-Ne parle plus. Repose-toi, tu nous as tant donné, reprends des forces, nous avons trop besoin de toi.
Et il chantonna à son oreille le plus câlin de ses refrains.
La petite biche est aux abois
Dans le bois se cache le loup
Ouh ouh ouh ouh
Mais le brave chevalier passa
Il prit la biche dans ses bras
La la la la
-Viens Jeanne, maintenant. Elle dort. Nous reviendrons demain.

-Pauvre Je t’aime. Parviendront-ils à la sauver ?
Monsieur Henri était aussi bouleversé que moi.
Des larmes me venaient dans la gorge.
Elles n’arrivaient pas à monter jusqu’à mes yeux. Nous portons en nous des larmes trop lourdes. Celles-là, nous ne pourrons jamais les pleurer.
-… Je t’aime. Tout le monde dit et répète « je t’aime ». Tu te souviens du marché ? Il faut faire attention aux mots. Ne pas les répéter à tout bout de champ ? Ni les employer à tort et à travers, les uns pour les autres, en racontant des mensonges. Autrement, les mots s’usent. Et parfois, il est trop tard pour les sauver. Tu veux rendre visite à d’autres malades ?
Il me regarda.
-Tu ne vas pas t’évanouir, quand même ?
Il me prit le bras et nous quittâmes l’hôpital.

Erik Orsenna, La grammaire est une chanson douce, pages 85 à 89

mercredi 27 août 2008

L’écriture est un sentier qui nous mène dans l’horizon d’une inspiration...


illustration Samuelle Ducrocq-Henry

Une enfant de 10 ans a écrit :

"L’écriture est un sentier qui nous mène dans l’horizon d’une inspiration qui vient du coeur. Des soupirs d’adieu et des soupirs qui se réveillent, qui viennent de naître dans notre esprit. L’art est notre vie créée sans contrôle.

C’est un passage désespéré qui nous mène à des victoires insensées. La création naît dans l’esprit, on l’a sur la peau, la peinture on l’inspire sur l’extrémité du monde, je le ressens car je suis humaine."

publié , entre autres textes d’enfants, dans "Les éclipses majestueuses : poésie et peinture" Patrick Laupin ; Comp’Act - 2003

vendredi 22 août 2008

Lui qui aurait voulu pouvoir offrir le ciel - W.B. Yeats


de la Callisto à l'étoile polaire


Lui qui aurait voulu pouvoir offrir le ciel

Si je pouvais t'offrir le bleu secret du ciel
Brodé de lumière d'or et de reflets d'argents
Le mystérieux secret, le secret éternel
De la nuit et du jour, de la vie et du temps

Avec tout mon amour je le mettrais à tes pieds
Mais tu sais je suis pauvre et je n'ai que mes rêves
Alors c'est de mes rêves qu'il faut te contenter
Marche doucement, car tu marches sur mes rêves

W.B. Yeats

mercredi 20 août 2008

L'outre-vie... Marie Uguay


André Blavier - Ste Marie, Brume matinale

L'outre-vie c'est quand on n'est pas encore dans la vie, qu'on la regarde, que l'on cherche à y entrer. On n'est pas morte encore mais déjà presque vivante, presque née, en train de naître peut-être, dans ce passage hors frontière et hors temps qui caractérise le désir. Désir de l'autre, désir du monde. Que la vie jaillisse comme dans une outre gonflée. Et l'on est encore loin. L'outre-vie comme l'outre-mer ou l'outre-tombe. Il faut traverser la rigidité des évidences, des préjugés, des peurs, des habitudes, traverser le réel obtus pour entrer dans une réalité à la fois plus douloureuse et plus plaisante, dans l'inconnu, le secret, le contradictoire, ouvrir ses sens et connaître. Traverser l'opacité du silence, inventer nos existences, nos amours, là où il n'y a plus de fatalité d'aucune sorte.

Marie Uguay, l'Outre vie.

Une soudaine révélation,... Virginia Woolf



Une soudaine révélation, une vague comme la rougeur qu'on voudrait arrêter, puis à laquelle on cède, en la sentant s'étendre; on court au bord le plus lointain, et là, on hésite; on sent le monde devenir lourd, tout gonflé de prémices étonnantes, d'un ravissement qui pousse et fait craquer la mince enveloppe et qui jaillit et qui déborde, extraordinairement allègre sur les fentes et sur les plaies. Alors, en cet instant, lui apparaissait une illumination --- un point allumé dans une fleur --- un sens caché presque exprimé.

Virginia Woolf, Mrs Dalloway, Oeuvres Romanesques, Paris, Stock, 1977-1979, tome I, p. 197.

lundi 18 août 2008

Comme les larmes.... René Char

Comme les larmes montent aux yeux puis naissent et se pressent,

les mots font de même.

René Char, Le Bâton de rosier

mardi 12 août 2008

Toucher - Octavio Paz



Toucher

Mes mains

ouvrent les rideaux de ton être

t’habillent d’une autre nudité

découvrant les corps de ton corps

Mes mains

inventent dans ton corps un autre corps

Octavio Paz, D’un mot à l’autre

lundi 11 août 2008

Joë Bousquet, Papillon de neige [extrait]

J’écris, je suis à la recherche d’un mouvement poétique où respire et s’impose la vérité que j’entrevois. D’où vient que je ne peux ouvrir un livre sans y trouver une page qui donne à mon pressentiment une chance supplémentaire d’éclore ?
J’ai baptisé cet afflux l’être en liberté ! Ce que le ciel vient éclairer entre nos mains, ce reflet qui, dans le sable creusé, est comme un grand papillon de neige sur les mains des enfants.
Ce que je vois ou ce que j’ai entre les mains se nie au profit de ce qui veut être. Tout ce que je regarde soudain est fauché d’un coup d’aile. Le papillon de nuit se pose sur les choses laissant dans mes regards des ailes d’air pur.

Joë Bousquet, Papillon de neige, éd.Verdier

vendredi 8 août 2008

SPHINX DE NUIT Colette Magny


SPHINX DE NUIT, sauvage

Unique, royale et mauve
Pour séduire tu te déguises
Au carnaval des orchidées
Tu ne te laisses pas intimider

Qui j'aime me crée
Qui m'aime me crée
Ah j'ai tout à te dire
Et c'est à toi que je le dis
ma "grisante", mon orge de printemps
Ne me laisse pas en suspens
Tu es de ces gens de mer
Dont l'eau peut être meurtrière

De ses grandes tenailles de béton
Le port a grignoté la baie
Les chalutiers dans les zones de pêche
Se perdent en haute mer
Le ressac, par tes lèvres
M'apporte les nouvelles des fonds sous-marins

Mon âme sera forte
Attentive aux méandres et boucles de ta vie
Face aux vents, je narguerai l'onde de tempête
Le héros et le monstre ne font qu'un
Ne te farde pas, je peux supporter
D'entrevoir la mort sur ton visage
Ton amour est le poumon de ma liberté
Plus tard nous boirons le vin
Nous en craignons encore trop l'ivresse

SPHINX DE NUIT .....

Sphinx de nuit est extrait de l'album Kevork qui, je l'espère, est encore disponible. En voilà les paroles, mais évidemment, il manque la magnifique voix de Colette
Amicalement
brigitte

Merci Brigitte vestale de Bagdam...
un site que je vous recommande

Bagdam Espace lesbien
courriel :
bagdam@bagdam.org
Site internet :http://www.bagdam.org/