samedi 21 février 2009

In nomine matrice - pour Sylvaine


Flaque© Sylvaine Vaucher
In nomine matrice - à S.V.

Qui est-elle ?
Examinez de plus près,

Approchez la flaque,
Explorez ses reflets d'argent,
Étoffe moirée à vos pieds.

Ayez le regard aigu,
Vous y verrez l'inattendu, ses éclairs.

Elle vous observe,
Elle vous renvoie votre regard,
Elle vous dévisage.
Elle est pêcheur de perles en mer rouge.
Elle sait les nuages, leurs caresses,
Ceux qui voyagent en secret.

Les fresques fluviales de leur pensée,
Elle les devine, les pressens.
Elle sait le désir des miroirs,
Elle modèle leur présage, leur détour.
Elle sait le désir suspendu
Et le murmure inachevé du soupir.
Alors, le palimpseste du rêve s’envisage,
Preste et ténu,
Frêle écaille de mica,
Nu.

In nomine matrice,
Elle parle l'indicible ;
Une langue très très ancienne,

Une langue jamais morte.
Jamais !

Estelle C.


jeudi 19 février 2009

Expédition en terre inconnue



Astronaute, sur une planète toujours inconnue dans son essence même, en dépit des ressemblances, baptisez chaque cratère, gouffre, domaine, zone, le moindre sillon, au détour de toutes courbes, de toutes voûtes, de toutes énigmes, nommer une à une la couleur de vos émotions.
Calligraphe, de votre main à même la peau, sur sa peau, faites entendre le roseau, l'encre.
Nouvelliste, posez, sur les portes de vos chambres les plus secrètes, de l' intime l'énoncé des chapitres.
Architecte, établissez le plan de la demeure, elle constitue votre relation à l'étrange étrangeté, à cette autre qui vous est si singulière, sur l'épiderme inscrivez le reflet, le révélateur, de vos introspections sensibles, marche après marche.
Exprimez, écoutez la chambre noire de vos rêves argentiques,
là où je devine vos yeux rougis sous la lampe.
La vie est un laboratoire qui nous éprouve.
Développez le négatif, vous obtiendrez l'image.
Fixez l'image, l'image ne se noircira plus.
L'image n'aura plus peur, elle n'aura plus peur de la lumière.
L'image recherchera la lumière, l'image recherchera l'exposition.
L'image rencontrera son désir.
Un désir exact, nu, sur les cimaises de votre âme, son entité charnelle,
la photographie de votre identité.
Vous ne serez plus clandestin à vous même.
Pour autant de ses frontières l'alchimie du mystère restera indemne.

Estelle C.


[Kanfr,
son voyage in terra incognitae, dont il nous restitue six vues, six expositions, vous ne pouvez lire ses petits mots sur ces reproductions, (même en cliquant sur l'image pour l'agrandir), vous en devinerez certains, aussi considérez cette obstruction comme une invitation à nommer vous-même, à dresser la cartographie de votre bien-aiméE, de votre tendre.

Kanfr, découvert lors d'une exposition salle St Ravy, un ravissement face à ses oeuvres et plus particulièrement pour ce planicube femelle dont le titre provocateur n'a pu me détourner de la tendresse qui se lit dans cette anatomie de l'observation sous toutes ses coutures, sensible à la poésie du concept, scribe d'un érotisme ludique.]

mardi 17 février 2009

Raimund Hoghe


Montpellier danse 2005, Raimund Hoghe, conférence de presse pour sa création "Swan Lake, 4 acts", je n'ai encore vu le spectacle, le verrai le soir même, il termine la rencontre par ces mots, les répétant, répétant la brûlure de leur écho en moi ; avec cette attention extrème portée à une parole quand au terme d'un entretien se délivre l'essentiel :
"La peur tue l'amour, la peur tue l'amour."
Avez-vous remarqué combien artériel est le seuil.

Estelle C.

"Sacre - The Rite of Spring" - 2004 –

Lorenzo De Brabandere and Raimund Hoghe
©Rosa Frank


une faille soudaine dans la logique de l'univers - Marguerite Duras

Vous demandez comment le sentiment d'aimer pourrait survenir. Elle vous répond : Peut-être d'une faille soudaine dans la logique de l'univers. Elle dit : Par exemple d'une erreur. Elle dit : jamais d'un vouloir. Vous demandez : Le sentiment d'aimer pourrait-il survenir d'autres choses encore ? Vous la suppliez de dire. Elle dit : de tout, d'un vol d'oiseaux de nuit, d'un sommeil, d'un rêve de sommeil, de l'approche de la mort, d'un mot, d'un crime, de soi, de soi-même, soudain sans savoir comment. Elle dit : Regardez. Elle ouvre ses jambes et dans le creux de ses jambes écartées vous voyez enfin la nuit noire. Vous dites : C'était là, la nuit noire, c'est là.

Marguerite Duras,
La maladie de la mort, éd. de minuit

lundi 16 février 2009

Que ne sommes-nous du même sang.- Hélène Cixous



" – Que ne sommes-nous du même sang.
Alors aucun adieu ne pourrait jamais couper le fil, Même si nous étions séparés pendant une vingtaine d'années,
je coulerais en toi, tu coulerais en moi.
– Mais alors nous perdrions la terreur qui nous unit par ses fils de feu
Et ces élans par lesquels nous luttons pour empêcher la fente de s'élargir
– Que ne sommes-nous du même sang
– Mais alors nous perdrions le sang que tu inventes
Et le sang que je sécrète sans arrêt
Sang sans paroles et sang de mots
sang sensuel sang perpétuellement menacé.
C'est parce que nous ne sommes pas du même sang
Que j'ai l'amour si haletant
Entre nous pas de lien, pas de nœud
Seulement la musique —
Que ne sommes-nous du même sang... "
écrivait Beethoven le 6 juillet.

Hélène Cixous,
Beethoven à jamais, éditions des femmes





dimanche 15 février 2009

Déclaration - Eric-Emmanuel Schmitt

Une déclaration d'amour,
Jean-Pierre Humbert, estampe numérique

« Je préférerais mourir avec vous parce que c'est vous que je préfère.
Je préférerais mourir avec vous parce que je ne veux pas vous pleurer et encore moins que vous me pleuriez. Je préférerais mourir avec vous parce que vous seriez la dernière personne que je verrais au monde. Je préférerais mourir avec vous parce que le ciel, sans vous, ça ne va pas me plaire, ça va même m'angoisser.

[…]
Depuis ce 4 septembre 1944, j’ai toujours cru que Bruxelles avait été libérée parce que j’avais, soudain, sans détour déclaré mon amour au Père Pons. J’en avais été marqué à jamais.
Depuis, je me suis attendu à ce que des pétards explosent et que des drapeaux sortent quand je confessais mes sentiments à une femme ! »

Eric-Emmanuel Schmitt - L'Enfant de Noé

mardi 10 février 2009

Rendez-nous superficiels ! Les clowns lyriques - Romain Gary


Soir bleu, Edward Hopper


« Notre Père qui êtes au ciel, pria-t-il. Permettez-nous de nous élever ! Permettez nous d'accéder à la surface, rendez-nous superficiels ! [...]

Prenez nos plus hautes institutions et faites-nous vivre au lieu de ça en Corse, dans une chanson de Tino Rossi!
Que notre vie ait toute l'élévation de sa voix, toute la variété de ses rimes!
Sauvez nous du blanc et du noir, réconciliez-nous avec le gris, avec l'impur, gardez la pureté pour vous et apprenez-nous à nous contenter du reste!

Rendez-nous le secret du coït simple comme bonjour où l'on ne risque pas de se casser les jambes à force de s'entortiller!
Rendez-nous les clairs de lune, la valse, permettez-nous de mettre genou à terre devant une femme sans ricaner!

Sauvez-nous du ricanement et de l'analyse, sauvez-nous des élites, faites régner sur nous un rêve de jeune fille!

...rendez-nous la sérénade et l'échelle de corde, le sonnet et la feuille sèche entre les pages d'un livre, mettez Roméo et Juliette au Kremlin!

Sauvez-nous du hara-kiri de l'introspection!

Avant de créer de nouveaux Staline et toute la ribambelle de géniaux pères des peuples, écoutez longuement le coeur des hommes et des femmes qui font l'amour : retenez-vous. Laissez-les continuer. Ne les dérangez sous aucun prétexte.

Gardez le génie pour Vous : Vous en avez singulièrement besoin, c'est un homme qui vous le dit. [...]

Ne touchez à rien!
Laissez-nous les couleuvres et les guêpes et les gros rhumes - c'est si bon d'éternuer!
Et si vous devez absolument nous aider, manifestez-vous en nous de temps en temps comme un aphrodisiaque!»

Romain Gary, Les clowns lyriques, folio, p. 109-112


J'adore ce texte, cette prière, il faut en lire ou en entendre l'intégralité.

(j'ai fais un essai d'enregistrement mais Deezer n'affiche plus mes mp3?!!!!...)

Plus jeune, j'étais dans le désir de le rencontrer en lisant "la nuit sera calme", pour son approche du féminin, pour sa féminité, pour ce qu'il montrait de lui, mais il était déjà sous terre, quand je voulus lui écrire, lui parler, échanger.

« Je vais rompre enfin avec celui qui a toujours su que toute oeuvre humaine ne peut être que de l'à- peu-près et qui n'a pourtant jamais pu se contenter de l'à-peu-près. Celui qui a lutté contre les démons de l'absolu et qui n'a pourtant jamais su faire lui-même cette paix avec l'impossible. Qui a toujours su que rien n'est plus ennemi de l'humain que l'extrémisme de l'âme et qui est pourtant lui-même un extrémiste de l'âme »
Romain Gary

gary_romain.1175278648.jpg



...donc article en cours....

Romain Gary, Danielle Darrieux et Jean Seberg dans "Les Oiseaux vont mourir au Pérou"

Romain Gary, Danielle Darrieux et Jean Seberg dans

"Les Oiseaux vont mourir au Pérou" (SIPA)

dimanche 8 février 2009

"A propos d'un film à faire" Fernand Deligny


a propos #1
envoyé par noise_about

"On ne peut pas vivre dans un monde où il n'y a pas quelqu'un qui à tout moment risquerait sa vie pour vous."
Fernand Deligny

vendredi 6 février 2009

Red light au Musée Fabre

NGUYEN-HATSUSHIBA-MEMORIA
Memorial Project Nha Trang, Vietnam, Towards the complex, For the Courageous, the Curious and the Cowards 01

Dimanche 18 janvier 2009

D'un coup sec, l'arrachement.
Un pansement sur tout le corps, à l'intérieur aussi, écorchée, je me suis extraite de mes draps.

Je m' infligeais l'agression d'une sortie, une extraction hors du lit, m'extirpant de sa moiteur mouvante où j'enfouis une torpeur panique, jour après jour.

Je m'ébrouais de la fatigue, je tentais du moins, je tentais le déni.
Goutte à goutte, tout mon corps pleure dans le sommeil.

Une convalescente, non.
Une mutilée, une incurable, ayant à entretenir ses facultés motrices, j'allais au rendez-vous.

Je pensais qu'elles auraient terminé leur visite, mais non, attablées devant le musée, elles discutaient en m'attendant, l'une d'elle commençait sa carrière de psy, face à sa féminité d'adolescente je ne crois pas qu'un désir de me livrer, de me délivrer puisse surgir, jamais. Nulles oreilles, nulles oreilles, autres que celles d'une magicienne, d'une sorcière, de mon extraterrestre, peut-être... le creux d'un arbre. D'un arbre en feu.

Je les suivais, me prêtais aux propositions ludiques des installations, puis les quittais pour un groupe guidé par une conférencière, jusqu'à cette lumière rouge, dont elle nous dit que le pendant de l'oeuvre, la lumière verte et la voix féminine exprimant le positif de la vie, avait été installé dans les toilettes par la conservatrice du Musée. Elle la subissait depuis plus plusieurs mois. Comme quoi les propos sur le bonheur ne sont pas toujours supportables.

Une fois seule, je me suis approchée du magnéto, sous la lumière rouge et j'ai souri, souri de l'ironie du sort, triste sourire, la voix de l'homme répétait laconique :
- Je ne sais pas vivre
- Je ne sais pas vivre
- Je ne sais pas vivre
...
Je pensais n'être venue dans ce lieu que pour entendre cela. Le propre écho d'une obsession, la mienne, déchirante.
Mon amie me retrouvant, me tira hors de ce miroir, où je me perdais, où je me noyais.

J'ai cherché le nom de l'artiste dans le dépliant du musée, cette oeuvre, ce diptyque séparé, ne figure pas dans le parcours, pourtant je ne l'ai rêvé... la lumière verte me restera inconnue.

Puis, je fus immergée dans une sous-marine course de pousse-pousse , et je te revoyais.
J'imaginais devenir ce nuage de pollen, être une graine de pissenlit, te rejoindre,
rentrer dans ta bouche, unir nos cosmogonies, à la belle étoile.

Les uniformes ayant disparu, j'emportais Circé au bas de l'escalier, gardienne du lieu.
Elle seule saurait.


Estelle C.