My beautiful laundrette,
Estelle C.
Vous ne vous sentez pas bien, vous traînez un rhume et son long cortège de kleenex, vous vous sentez aussi courbaturée que si vous aviez passé la journée à éviter les piétinements d'une mêlée de rugby et votre ventre s'est mué justement en ballon ovale qui s'exprimerait par borborygmes, les spasmes se mettent eux aussi à gargouiller, vos douleurs ne se libèrent qu’en signaux odoriférants, bonheur d’avoir le nez bouché parfois !
Vous ne cherchez pourtant à faire fuir personne, l’ennemi est interne, toute décatie vous regagnez votre lit en soliste, diminuée, la toux fidèlement vous y accompagne pour une salutaire séance de gymnastique abdominale, vous qui ne fréquentez guère les salles de sport.
Vous ne dormez plus mais vous n’êtes pas éveillée, c’est léthargique que vous êtes votre propre spectateur impuissant. Vous ne maîtrisez rien. L’humiliation vous gagne de concert.
Ce jour là précisément, les amies qui veulent vous voir. L'une vous conviant à boire un café au soleil qui est revenu lui aussi, mais vous ne lui infligerez pas votre pâleur, une autre vous proposant de vous oxygéner dans le jardin des plantes pour fuir la cohue frénétique de cette période de soldes et une dernière vous invitant dans la soirée à voir le dernier film d'Agnès Varda, "les plages d'Agnès" en guise de cadeau de noël, une belle attention, vous qui affectionnez cette cinéaste iconoclaste, fantasque, espiègle, humaine...Bien, ça ne va pas être possible !...Vous restez couchée avec un rhume récalcitrant, une bronchite persistante, avec le chiendent d'une fatigue prenant ses quartiers dans les moindres recoins, anesthésiant, anéantissant toute volonté autre que celle d'empoigner votre oreiller...
La présence de vos amies vous réconforte quelque peu même si vos seuls interlocuteurs tangibles sont de toute évidence vos seuls doigts de pieds!
En vous, surtout, ce traumatisme des incontinences irrépressibles, ces bombes à retardement dans les entrailles lapidant tout élan, vous maintenant emprisonnée à faible distance de la lunette de vos cabinets, soit une sanitaire garde à vue !
Puis quand la nuit arrive, elle arrive tôt, vous allez mieux, vous bénissez le progrès, l'inventeur de la machine à laver, vous bénissez la chance d'en avoir une à domicile, vous pensez aux femmes qui devaient aller au lavoir, vous faites une grimace moqueuse à Renoir qui pensait que le corps des femmes avaient beaucoup perdu depuis qu'elles n'étaient plus lavandières! Ah ...Ces hommes! Ils ne peuvent s'empêcher de donner du grain à mon féminisme! Ce moulin là tourne bien, trop bien!
C'est certain, c'était du sport de savonner, frotter, brosser, battre, essorer des kilos et des kilos de linges empesés.
Ces cataclysmes internes vous enserrent dans l’étau d’angoisses prégnantes, ce n'est certes pas le genre de volcan que l'on a envie de partager, ils attendent que vous soyez recouchée, abattue, rendormie, ou seulement sous la somnolence d'une intense asthénie, d'une puissante inertie pour se réveiller à nouveau, la perversité incarnée!
Vous êtes sans appétit, pas la peine de le nourrir le monstre. Mais comme vous faites corps, pas le moment de dépérir non plus!...Bon...Heureusement il vous reste le thé et le riz Basmati!
Chance, aussi ces denrées sont toujours dans vos placards.
Providence, votre tendre n'était pas dans votre lit!
Bah… J’essaie de voir le positif!...Bien que la vraie fortune soit de ne plus connaître ces affligeants désordres de transit et de l'avoir dans vos bras, enfin !...Sans transition!...Pour d'autres corporelles métaphores...
Si néanmoins, tous vos méandres ne l'ont pas vu prendre la fuite!
Allez, souris puisque c’est grave…Vous faites du riz pour deux.
Il faut bien nourrir sa solitude, sinon comment pourrais-je marcher vers toi.