Le chant des naufragés
Nous sommes les naufragés de la langue
D'un pays l'autre nous allons, accrochés aux bois flottés de nos phrases
Ce sont les restes d'un ancien navire depuis longtemps fracassé
Mais le désir nous point encore, tandis que nous dérivons
De sculpter dans ces planches des statuettes de sirènes aux cheveux bleus
Et de chanter toujours avec ces poumons-là:
Laissez-nous répéter la mer
N'intentez point de procès stupide au grand large
La mer, accrochée à la mer
Tremble et glisse sur la mer
Ses mouvements de jupe, ses coups d'épaules, ses redondances
Et tout ce bleu qui vient à nous sur les grands aplats de la mer
Nous aimons la manière dont s'en va la barque
Se déhanchant d'une vague à l'autre, dansant son émoi de retrouver la mer
Et son curieux bruit de grelot
Quand la musique se déploie sur l'immense partition de la mer
La mer se mêle avec la mer
Mélange ses lacs et ses flaques
Ses idées de mouettes et d'écumes
Ses rêves d'algues et de cormorans
Aux lourds chrysanthèmes bleus du large
Aux myosotis en touffes sur les murs blancs des îles
Aux ecchymoses de l'horizon, aux phares éteints
Aux songes du ciel impénétrable
La mer est un ciel bleu tombé
Voici longtemps déjà que le ciel a perdu ses clefs dans la mer
Sous quels soleils désormais nous perdre?
Sur quelle épaule poser la fièvre de notre tête humide?
Nos rêves sont des pattes d'oiseaux sur le sable
Des fragments d'ongles coupés à deux pas de la mer
Nous brûlons sur la plage des monceaux de cadavres
Puisque tels sont les mots avec leurs os et leurs fumées
[...]
J.-M. Maulpoix
Extrait de poème in "Dans l'Interstice", © éd. Fata Morgana, 1991.
2 commentaires:
..."La mer est un ciel bleu tombé" voilà un autre auteur que vous me faites découvrir...je me sens heureuse avec mes horizons qui s'illuminent et "s'illimitent" de plus en plus.
Ce poème est époustouflant de beauté. Toute ma gratitude pour avoir découvert, grâce à vous, ce texte et son auteur que j'essaierai de ne pas oublier..
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