mercredi 31 décembre 2008

Le monde vacillant


Château de Montferrand

photographie, Laurence Le Corre
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Le monde vacillant

Plus de masque / déchirement
Aiguë cette pointe acérée/ martellements brefs et répétés
cris d'oiseaux / si haut fusent naturels/ échos
l'infini fragilité d'une subtile retenue
farouchement/ l'hésitation flanche
Sans bruit/ l'éclosion brutale
têtue/ une fourmi vous parcourt
le parchemin se défroisse
cependant reste flou/ demeure illisible/ mentalement
l'écorce se dénoue
les lueurs sont-elles ailleurs?
précisément/ infailliblement
l'évidence vous étrangle/ aveuglément
la déroute jette ses cailloux
pas à pas

Puis/ vous vous décidez.
Non!

Ce n'est pas une décision!
Rien de mûri/ de construit/ d'élaboré/ rien de tout cela/ RIEN
Juste /Vous
vous enjambez/ vous enjambez le parapet

Au diable les garde-corps/ les garde-fous/ vous enjambez enfin/
ENFIN!

Juste cela
Le paysage est si beau
Ce paysage unique/ solitairement/
solaire

Dans l'écume de votre chute
Le Monde vacillant/ ... s'étourdit

Estelle C.

mercredi 24 décembre 2008

La roue tourne


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photographie, © Sylvaine Vaucher

Le lierre

Le lierre

Saveur d'une fraise sous la dent
Un éclat groseille
Stupeur dans l'orbe
Une apesanteur arrachée
Sous l'ombre un insecte encore farouche
La cachette du silence soudain
La herse se lève
Les éperons du doute ne blessent plus
Sous le tranchant d'une aile, un frisson
L'altitude poudroie
Les mots se givrent
Les mots fondent
Les volets restent clos
Souriant à peine le cours d'eau égraine ses galets
Se déchirent les rideaux oublieux d' anciens tourments
S'émiettent sous la bourrasque leur trame
Tombent en poussière les questions
Croque, dévore le sablier, tout l'espace
Menottée, le lierre t'envahit

Estelle C.

dimanche 21 décembre 2008

samedi 20 décembre 2008

De la tendre compassion des chats

photographie © Sylvaine Vaucher
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De la tendre compassion des chats

Ils nous invitent à l'énigme. Ne donne-t-on sa langue au chat ?

J'aime par dessus tout, quand nous fixant,

ils baissent lentement les paupières,

pour l'offrande vive, renouvelée, de leurs yeux plein de lumière,

communication silencieuse de leur présence dans la distance préservée,

compréhension tacite de ma solitude dans leurs muets ensorcellements,

nimbes de compassion.

Estelle C.

vendredi 19 décembre 2008

La lettre, Léo Ferré


La lettre,

Ton ombre est là, sur ma table, et je ne saurais te dire
Comment le soleil factice des lampes s'en arrange
Je sais que tu es là, que tu ne m'as jamais quitté, jamais
Je t'ai dans moi, au profond, dans le sang, et tu cours dans mes veines
Tu passes dans mon cœur et tu te purifies dans mes poumons
Je t'aime
Je te bois, je te vis, je t'envulve et c'est bien
Je t'apporte, ce soir, mon enfant de longtemps, celui que je me suis fait, tout seul,
Qui me ressemble, qui te ressemble, qui sort de ton ventre, de ton ventre qui est dans ma tête
Tu es la sœur, la fille, la compagne et la poule de ce Dieu tout brûlant
Qui éclaire nos nuits depuis que nous faisons nos nuits
Je t'aime
Je t'aime
Il me semble qu'on m'a tiré de toi et qu'on t'a sortie de moi
Quand tu parles, je m'enchante
Quand je chante, je te parle
Nous venons d'ailleurs, tous les deux. Personne ne le sait
Quand je mourrai, tu ne pourras plus vivre que dans l'alarme
Tu n'auras plus un moment à toi
Tu seras mienne, par-delà le chemin qui nous séparera
Et je t'appellerai
Et tu viendras
Si tu mourais, tu m'appellerais
Je suis la vie pour toi, et la peine, et la joie, et la Mort
Je meurs dans toi, et nos morts rassemblées feront une nouvelle vie, unique, comme si deux étoiles se rencontraient
Comme si elles devaient le faire de toute éternité, comme si elles se collaient pour jouir à jamais
Ce que tu fais, c'est bien, puisque tu m'aimes
Ce que je fais, c'est bien, puisque je t'aime
A ce jour, à cette heure, à toujours, mon amour
Mon amour...

Léo Ferré

jeudi 18 décembre 2008

A tue-tête

Grenades, les mots éclatent, explosent ;
parfois, ils ont la couleur du fruit
désaltérant suscitant d'autres soifs,
exaltant la friction des échanges,
l'émotion du partage.

D'autres portent en eux des lames qui blessent,
des fragments de miroir déformant,
nous font porter des habits qui ne sont les nôtres,
nous ridiculisent, nous jugent, nous défigurent.

Ces mots tels des barbelés viendront s'interposer
entre qui les a posé et qui les a reçu ;
vilain hochet s'agitant dans notre mémoire,
avec un bruit intolérable.

....Faire attention à la prégnance des images,
même si nos intentions étaient tout autre.

Nous sommes un champ de bataille.

En sortant de leur tranchée,
mes mains ont mis tes cheveux en bataille,
c'est de douceurs qu'elles reviennent,
une baïonnette sur la poitrine.

Dégoupiller tous les mots,
ceux qui lacèrent, ceux qui étreignent,
leur tirer la langue à bout portant,
les gracier de trop longues peines.

Le lui dire, enfin!

Te le dire, ce trésor par toi déterré.

Estelle C.



mardi 16 décembre 2008

contre-coup kaléisdoscopé


contre-coup kaléisdoscopé, Estelle C.
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Tea for you too

Le froid te prend les mains,
se pose sur tes oreilles, te saisit le nez.
Au bord ourlé du petit bol,
palpite une tiédeur sur ta bouche,
reflet de ton sourire sur la langue, sous la peau,
infusion de nos effeuillements,
me souvenir me morsure.

Estelle C.



dimanche 14 décembre 2008

By this river - Brian Eno



Here we are
Stuck by this river,
You and I
Underneath a sky that's ever falling down, down, down
Ever falling down.

Through the day
As if on an ocean
Waiting here,
Always failing to remember why we came, came, came:
I wonder why we came.

You talk to me
as if from a distance
And I reply
With impressions chosen from another time, time, time,
From another time.

Brian Eno

lundi 8 décembre 2008

Dernier communiqué Morice Benin


Sabine Weiss, 1953


Dernier communiqué

Parce que c'est entre les hommes
Parce que c'est une histoire de fleur rouge entre eux, depuis des siècles
Parce que la vie est belle et désirable, comme un puit dans le ciel

Parce que malgré tout, ce cheval est fou d'amour pour une étoile
Parce qu'il y a une réponse merveilleuse à la mort qui se traduit par cette épaule tendrement inclinée vers la mer
Parce que nul ne peut chasser la main qui vole et le moineau fabuliste de ma mémoire
Parce qu'il reste du cidre à boire dans les auberges de campagne
Parce que tu ne peux t'éloigner un seul instant sans que je sache que l'équilibre du monde est changé
Parce que le ciel qui se rapproche ne m'empêche pas de grandir

Parce qu'il importe d'aimer toutes choses à ta ressemblance
Je ne m'inquiète pas du jour qui va finir ni de ces fleuves dépassés par l'aventure
Non plus, de cet enfant vaincu qui s'achemine à la renverse dans les blés

Je suis certain d'avoir tout fait pour être sauf

Morice Benin

mercredi 3 décembre 2008

Le Chat et le Soleil - Maurice Carême




LE CHAT ET LE SOLEIL

Le chat ouvrit les yeux,
Le soleil y entra.
Le chat ferma les yeux,
Le soleil y resta,

Voilà pourquoi, le soir,
Quand le chat se réveille,
J'aperçois dans le noir
Deux morceaux de soleil.

Maurice Carême
In l'Arlequin
Copyright Fondation Maurice Carême,

http://passionchats.free.fr/careme.htm



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lundi 24 novembre 2008

Microcosmos, le peuple de l'herbe

LYRICS:

Look at your feet
This funny world
Full of insane small creatures
And listen to this buzzing chord
Who keenly spreads such strange murmurs
The sound's buzzing, swarming
Sliding beetles, snails, and ladybirds On swarming grubs
On sliding ants
Open your eyes before you die
Sit on the grass Observe and paint
The toad, the wasp, the dragonfly
The sound's buzzing, swarming
Sliding beetles, snails, and ladybirds

Regardez vos pieds
Ce monde drôle
Plein de petites créatures folles
Et écoutez ce choeur bourdonnant
qui étend profondément de tels murmures étranges
le bourdonnement du son, l'essaimage
des scarabées Glissants, des escargots et des coccinelles
Sur des larves essaimantes Sur des fourmis glissantes
Ouvrez vos yeux avant que vous ne mouriez
assis dans l'herbe Observer et peindre
le crapaud, la guêpe, la libellule
le bourdonnement du son, l'essaimage
des scarabées Glissants, des escargots et des coccinelles



vendredi 21 novembre 2008

Promesse aux « Moineaux » Emily Dickinson


Cher Mr. Bowles ,

La victoire vient tard,

Abaissée vers des lèvres froides

Trop saisies par le gel

Pour s’en soucier !

Quel goût exquis elle aurait eu !

Fût-ce une goutte !

Dieu était-il si avare ?

Sa table est dressée trop haut pour Nous

À moins de dîner sur la pointe des pieds !

Les Miettes – conviennent à de petits becs -

Les Cerises – aux Grives –

Le goûter doré de l’Aigle – les éblouit !

Dieu tienne Sa Promesse aux « Moineaux »,

Qui de peu d’Amour – savent jeûner !

Emily


Emily Dickinson, vers 1861


jeudi 20 novembre 2008

Louise Labé - Je vis, je meurs ; je brûle et je me noie...



Médaillon, Vienne milieu du XVIe siècle

Sonnet VIII

Je vis, je meurs ; je brûle et je me noie ;
j'ai très chaud tout en souffrant du froid ;
la vie m'est et trop douce et trop dure ;
j'ai de grands chagrins entremêlés de joie.

Je ris et je pleure au même moment,
et dans mon plaisir je souffre maintes graves tortures ;
mon bonheur s'en va, et pour toujours il dure ;
du même mouvement je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour me mène de manière erratique ;
et quand je pense être au comble de la souffrance,
soudain je me trouve hors de peine.

puis quand je crois que ma joie est assurée
et que je suis au plus haut du bonheur auquel j'aspire,
il me remet en mon malheur précédent.

Louise Labé


lundi 17 novembre 2008

Jean-Louis Barrault dans Les enfants du Paradis


Baptiste

"... tout seul, à l'écart,... immobile comme un mannequin de cire,... silencieux, craintif,..., dépaysé, sans défense, lunaire et visiblement « ailleurs »"

"Baptiste répond d'un sourire, comme si la seule expression de
son visage suffisait à exprimer les mots qu'il ne dit pas."


..."c'est tellement simple l'amour."


dans Les enfants du paradis
film de Marcel Carné,
scénario et dialogues de Jacques Prévert

samedi 15 novembre 2008

... Quand... jusqu'à la fin des temps. Christian Bobin

"... Quand on aime quelqu'un,
on a toujours quelque chose à lui dire ou à lui écrire,
jusqu'à la fin des temps."


Christian Bobin

jeudi 13 novembre 2008

Le chant des naufragés J.- M. Maulpoix

Le chant des naufragés

Nous sommes les naufragés de la langue

D'un pays l'autre nous allons, accrochés aux bois flottés de nos phrases

Ce sont les restes d'un ancien navire depuis longtemps fracassé

Mais le désir nous point encore, tandis que nous dérivons

De sculpter dans ces planches des statuettes de sirènes aux cheveux bleus

Et de chanter toujours avec ces poumons-là:

Laissez-nous répéter la mer

N'intentez point de procès stupide au grand large

La mer, accrochée à la mer

Tremble et glisse sur la mer

Ses mouvements de jupe, ses coups d'épaules, ses redondances

Et tout ce bleu qui vient à nous sur les grands aplats de la mer

Nous aimons la manière dont s'en va la barque

Se déhanchant d'une vague à l'autre, dansant son émoi de retrouver la mer

Et son curieux bruit de grelot

Quand la musique se déploie sur l'immense partition de la mer

La mer se mêle avec la mer

Mélange ses lacs et ses flaques

Ses idées de mouettes et d'écumes

Ses rêves d'algues et de cormorans

Aux lourds chrysanthèmes bleus du large

Aux myosotis en touffes sur les murs blancs des îles

Aux ecchymoses de l'horizon, aux phares éteints

Aux songes du ciel impénétrable

La mer est un ciel bleu tombé

Voici longtemps déjà que le ciel a perdu ses clefs dans la mer

Sous quels soleils désormais nous perdre?

Sur quelle épaule poser la fièvre de notre tête humide?

Nos rêves sont des pattes d'oiseaux sur le sable

Des fragments d'ongles coupés à deux pas de la mer

Nous brûlons sur la plage des monceaux de cadavres

Puisque tels sont les mots avec leurs os et leurs fumées

[...]

J.-M. Maulpoix

Extrait de poème in "Dans l'Interstice", © éd. Fata Morgana, 1991.

samedi 8 novembre 2008

"Tavalod è-digar"— Autre naissance,Foroukh Farrokhzâd

Forough Farrokhzad est née à Téhéran en 1935 et morte accidentellement en 1967, À 27 ans (1962), elle réalise un film intitulé "Khane siah ast" (La maison est noire) dans la léproserie de Baba Baghi, près de Tabriz, et adopte le fils d'un couple de lépreux.

Forough Farrokhzad est une des plus belles voix de la poésie iranienne. Sa vie même, - autant que son oeuvre -, l'a rendue célèbre. C'est la première poétesse iranienne contemporaine à s'exprimer en tant que femme avec le courage que cela implique. Son oeuvre la plus importante a pour titre Une autre naissance.

Biographie lu sur pierdelune : http://www.pierdelune.com/farrok.htm

"Tavalod è-digar" — Autre naissance

Tout mon être est un verset de l'obscurité

Qui en soi-même te répète

Et te mènera à l'aube des éclosions et des croissances éternelles

Je t'ai soupiré et soupiré

Dans ce verset je t'ai, à l'arbre, à l'eau et au feu, greffé.

La vie peut-être

Est une longue rue que chaque jour traverse une femme avec un panier

La vie peut-être

Est une corde avec laquelle un homme d'une branche se pend

La vie peut-être est un enfant qui revient de l'école

La vie peut-être c'est allumer une cigarette

dans la torpeur entre deux étreintes

Ou le regard distrait d'un passant

Qui soulève son chapeau

Et à un autre passant, avec un sourire inexpressif, dit : "Bonjour."

La vie peut-être est cet instant sans issue

Où mon regard dans la prunelle de tes yeux se ruine

Et il y a là une sensation

Qu'à ma compréhension de la lune et ma perception des ténèbres je mêlerai.

Dans une chambre à la mesure d'une solitude

Mon coeur

A la mesure d'un amour

Regarde

Les prétextes de son bonheur

Le beau déclin des fleurs dans le vase

La pousse que dans le jardin tu as plantée

Et le chant des canaris

Qui chantent à la mesure d'une fenêtre.

Ah...

C'est mon lot

C'est mon lot

Mon lot

C'est un ciel qu'un rideau me reprend

Mon lot c'est de descendre un escalier abandonné

Et de rejoindre une chose dans la pourriture et la mélancolie

Mon lot c'est une promenade nostalgique dans le jardin des souvenirs

Et de rendre l'âme dans la tristesse d'une voix qui me dit :

"Tes mains

Je les aime".

Mes mains je les planterai dans le jardin

Je reverdirai, je le sais, je le sais, je le sais

Et les hirondelles dans le creux de mes doigts couleur d'encre

Pondront.

A mes oreilles en guise de boucles

Je pendrai deux cerises pourpres et jumelles

Et à mes ongles je collerai des pétales de dahlia.

Il est une rue là-bas

Où des garçons qui étaient de moi amoureux, encore

Avec les mêmes cheveux en bataille, leurs cous graciles

et leurs jambes grêles,

Pensent aux sourires innocents d'une fillette qu'une nuit

le vent a emportée avec lui.

Il est une ruelle

Que mon coeur a volée aux quartiers de mon enfance.

Volume en voyage

Sur la ligne du temps

Volume qui engrosse la sèche ligne du temps

Volume d'une image vigile

Qui revient du festin d'un miroir

Et c'est ainsi

Que l'un meurt

Et que l'autre reste.

Au pauvre ruisseau qui coule dans un fossé

Nul pêcheur ne pêchera de perles.

Moi

Je connais une petite fée triste

Qui demeure dans un océan

Et joue son coeur dans un pipeau de bois

Doucement doucement

Une petite fée triste

Qui la nuit venue d'un baiser meurt

Et à l'aube d'un baiser renaît.

Foroukh Farrokhzâd (1935-1967)

poème traduit par: Mohammad Torabi et Yves Ros

jeudi 30 octobre 2008

Al Atlal Ibrahim Naji [traduction] Sapho, interprète

Al Atlal - Les ruines

Ne cherche pas, mon âme, à savoir qu'est devenu l'amour
C'était une citadelle imaginaire qui s'est effondrée
Abreuve-moi et trinquons à ses ruines
Conte en mon nom l'histoire
Maintenant que mes larmes ont coulé
Raconte comment cet amour s'est transformé en passé et pourquoi il m'est devenu un sujet de douleur
Je ne parviens pas à t'oublier
Toi qui m'avais séduite par tes discours si doux et raffinés
Tendant ta main vers moi
Comme celle que l'on tend
Par dessus l'onde, a celui qui se noie
Et comme la lumière que recherche un errant
Mais où est donc passé cet éclat dans tes yeux
Mon amour, j'avais eu un jour la joie de visiter ton nid
Me voici aujourd'hui oiseau solitaire, roucoulant ma douleur
Tu es devenu suffisant comme un être capricieux et gâté
Tu pratiques l'injustice comme un puissant tyrannique
Mon désir de toi me brûle l'âme et le temps de ton absence n'est que braises cuisantes

Donne-moi ma liberté et brise mes chaînes
Je t'ai tout donné ; il ne me reste plus rien
Ah! Tu m'avais saigné les poignets par tes chaînes
Pourquoi les garderai-je alors qu'elles n'ont plus d'effet sur moi
Pourquoi croire à des promesses que tu n'as pas tenues
Je n'accepte plus ta prison
Maintenant que le Monde est à moi
Il est loin mon bien-aimé séduisant, tout de fierté, de majesté, et de pudeur
Si sûr de lui, comme un roi de beauté et avide de gloire
Exhalant le charme, comme la brise des vallées, agréable à vivre comme les songes de la nuit
J'ai perdu à jamais ta douce compagnie dont le charme rayonnait de splendeur pour moi
Je n'étais qu'un amour à la dérive, un papillon perdu qui s'était approché de toi
Entre nous, la passion était notre messager et l'ami qui avait fait déborder notre coupe
Y a-t-il jamais eu plus enivrés d'amour que nous?
Nous nous étions entourés de tant d'espoir
Nous avions emprunté un chemin au clair de lune, précédés que nous étions par la joie
Nous avons ri comme seuls deux enfants savent le faire et nous avons couru encore plus vite que notre ombre
C'est quand l'ivresse nous quitta que la lucidité revint et que nous nous sommes réveillés
Mais le réveil fut sans illusion
Finis les rêves d'un monde imaginé, voici venir la nuit, ma seule compagne

Et puis voici la lumière qui annonce le jour et l'aube dont le ciel s'embrase
Voila la vie réelle, telle que nous la connaissons, avec ces amants qui reprennent chacun leur chemin
Toi qui veilles en oubliant les promesses, et te réveilles en t'en souvenant
Sache que lorsqu'une blessure se referme, le souvenir en fait saigner une autre
Il faut apprendre à oublier
Il faut apprendre à effacer les souvenirs
Mon bien-aimé, tout est fatalité
Ce n'est pas nous qui faisons notre malheur

Un jour peut-être nos destins se croiseront, lorsque notre désir de nous rencontrer sera assez fort
S'il arrive alors qu'un de nous renie son amant et que notre rencontre soit celle de deux étrangers
Et si chacun de nous poursuit un chemin différent, ne crois pas qu'il s'agira alors de notre choix mais plutôt de celui du destin

Ibrahim Naji

Al Atlal (traduire par "Ruines") un poème d'Ibrahim Naji, une musique de Riad Sunbati magistralement servi par Oum Kalthoum dans sa version originale.

Mais personnellement je lui préfère l'interprétation de Sapho...

mercredi 29 octobre 2008

La volupté... Rainer Maria Rilke



La volupté de la chair est une chose de la vie des sens au même titre que le regard pur, que la pure saveur d’un beau fruit sur notre langue.

Elle est une expérience sans limite qui nous est donnée, une connaissance de tout l’univers, la connaissance même dans sa plénitude et sa splendeur.

Rainer Maria Rilke Lettre IV,
in Lettres à un jeune poète

lundi 27 octobre 2008

vendredi 24 octobre 2008

la Peur... Henri Michaux

Enfin, s’attaquant à l’homme vaincu d’avance, la Peur,

Quand la Peur, au ruissellement mercuriel, envahit la pauvre personnalité d’un homme qui devient aussitôt comme un vieux sac,

Écartant tout quand elle entre, en Souveraine, s’assied et se débraille sur les sièges culbutés de toutes les vertus,

Décongestif unique du bonheur, quand la Peur,

Quand la Peur, langouste atroce, agrippe la moelle épinière avec ses gants de métal…

Oh, vie continuellement infecte !

Le désespoir et la fatigue s’unissent. Et le soleil se dirige d’un autre côté.

Henri Michaux

Difficultés, in Lointain intérieur, poésie/Gallimard, p.135

mercredi 22 octobre 2008

Obscurité antre où tout peut surgir... Henri Michaux



©Sylvaine Vaucher, fractaleSpine


"Obscurité, antre d'où tout peut surgir, où il faut tout chercher.
Sous des peaux, des cuticules, sous une gaine, sous des tôles, des capots, des bordés, des murs, sous des façades,
sous une coque, sous un blindage, tout ce qui compte, ce qui est organes, fonction, ou machine, et ce qui est secret,
est à l'abri de la lumière."

Henri Michaux, Emergences-résurgences.

mardi 14 octobre 2008

... de la rive où j'émiette mon pain. Jean Genet

"Dans tes yeux mes doigts d'osier mes pâles mains
Voient les poissons les plus tristes du monde
Fuir, de la rive où j'émiette mon pain."


Jean Genet

Le pêcheur du Suquet, Poésie/Gallimard, p.81

lundi 13 octobre 2008

vendredi 10 octobre 2008

Bernard Noël - La maladie de la chair [extrait]


Leman bleu, Christine Lavanchy

Vous évitiez ma parole tout en multipliant les tentations capables de briser mon silence.Vous faisiez battre en retraite votre écoute comme s'il vous était possible d'augmenter la profondeur de votre oreille. Vous reculiez devant mes confidences à mesure que, grâce à vous, elles devenaient inévitables et, tant pis pour ma mémoire mise ainsi à l'estrapade par les tiraillements que lui infligeait l'égalité de votre distance et de votre intérêt.

Vous faisais-je peur en mêlant mon coeur aux mouvements de l'aveu ou bien vouliez-vous me faire subir je ne sais quelle épreuve de la glace et du feu?

Vous ne pouviez ignorer ce qu'il m'en coûtait ni ce que j'engageais... Vous accepterez, cette fois, que je reprenne tout pour tenter d'y mettre de l'ordre : tout depuis le début.

Vous me devez cette attention même si, je le sais, vous ne me devez rien - en vérité, vous me la devez parce que vous ne me devez rien.

Vous avez déjà compris que je supplie sous mon air de réclamer.

Bernard Noël,

La Maladie de la chair, Éditions Ombres, 1993.

mercredi 8 octobre 2008

Rose, ô pure contradiction... Rainer Maria Rilke


Rose, o reiner Widerspruch, Lust niemandes Schlaf zu sein unter so viel Lidern.

Epitaphe, Rainer Maria Rilke


Rose, ô pure contradiction, volupté et point de sommeil, sous tant de paupières

traduction Alfred De Zayas

Rose, ô pure contradiction, joie de n'être le sommeil de personne sous tant de paupières.

(Avis aux polyglottes : si vous avez une traduction personnelle à proposer...)

mardi 7 octobre 2008

Hulton Getty picture collection



Hulton Getty picture collection, 1934

Les mains d'Elsa - Louis Aragon

Les mains d'Elsa

Donne-moi tes mains pour l'inquiétude

Donne-moi tes mains dont j'ai tant rêvé

Dont j'ai tant rêvé dans ma solitude

Donne-moi tes mains que je sois sauvé

Lorsque je les prends à mon propre piège

De paume et de peur de hâte et d'émoi

Lorsque je les prends comme une eau de neige

Qui fuit de partout dans mes mains à moi

Sauras-tu jamais ce qui me traverse

Qui me bouleverse et qui m'envahit

Sauras-tu jamais ce qui me transperce

Ce que j'ai trahi quand j'ai tressailli

Ce que dit ainsi le profond langage

Ce parler muet des sens animaux

Sans bouche et sans yeux miroir sans image

Ce frémir d'aimer qui n'a pas de mots

Sauras-tu jamais ce que les doigts pensent

D'une proie entre eux un instant tenue

Sauras-tu jamais ce que leur silence

Un éclair aura connu d'inconnu

Donne-moi tes mains que mon coeur s'y forme

S'y taise le monde au moins un moment

Donne-moi tes mains que mon âme y dorme

Que mon âme y dorme éternellement..

Louis ARAGON

Extrait du "Fou d'Elsa"


samedi 4 octobre 2008

Fractale Tao - Sylvaine Vaucher



photographie, © Sylvaine Vaucher
(cliquer sur l'image pour l'agrandir)

On regarde le Tao,
cela ne suffit pas pour le voir.

On l'écoute,
cela ne suffit pas pour l'entendre.

On le goûte,
cela ne suffit pas pour en trouver la saveur.

Connaître l'harmonie, c'est saisir le Constant.
Saisir le Constant, c'est être illuminé.

Lao Tseu

L'aventure d'être en vie - Henri Michaux


dessin, Henri Michaux

J'écris pour me parcourir. Peindre, composer, écrire : me parcourir.

Là est l'aventure d'être en vie.

Henri Michaux in Passages - 1950

vendredi 3 octobre 2008

... Echapper, échapper à la similitude... Henri Michaux


dessin sous mescaline, Henri Michaux

"...Au désir passager d'"assimiler", aux forces pour le maintien de la forme s'oppose immanquablement en moi l'instinct opposé lequel ne peut disparaître.
Echapper, échapper à la similitude, échapper à la parente, échapper à ses "semblables".
Désobéir à la forme
Comme si, enfant, je me l'étais juré.
Une ressemblance interne, ce serait plus excitant à attraper, non par ruse, mais à bras le corps si je puis dire; ce serait aussi plus redoutable.
Qu'est-ce qu'une ressemblance sans dissemblance ?
Un dessin sans combat ennuie.
Il est incomplet. Qui ne le sent ?"

Henri Michaux
Extrait de "Saisir" avec illustrations de sa divine et folle main :
1979 l'entier, dédié à Micheline Phan Kim Chi

Remerciements à Sylvaine Vaucher

mardi 30 septembre 2008

Agir, je viens - Henri Michaux


Angelina Sierra
Agir, je viens

Poussant la porte en toi, je suis entré
Agir, je viens
Je suis là
Je te soutiens
Tu n'es plus à l'abandon
Tu n'es plus en difficulté
Ficelles déliées, tes difficultés tombent
Le cauchemar d'où tu revins hagarde n'est plus
Je t'épaule
Tu poses avec moi
Le pied sur le premier degré de l'escalier sans fin
Qui te porte
Qui te monte
Qui t'accomplit

Je t'apaise
Je fais des nappes de paix en toi
Je fais du bien à l'enfant de ton rêve
Afflux
Afflux en palmes sur le cercle des images de l'apeurée
Afflux sur les neiges de sa pâleur
Afflux sur son âtre.... et le feu s'y ranime

AGIR, JE VIENS
Tes pensées d'élan sont soutenues
Tes pensées d'échec sont affaiblies
J'ai ma force dans ton corps, insinuée
...et ton visage, perdant ses rides, est rafraîchi
La maladie ne trouve plus son trajet en toi
La fièvre t'abandonne

La paix des voûtes
La paix des prairies refleurissantes
La paix rentre en toi

Au nom du nombre le plus élevé, je t'aide
Comme une fumerolle
S'envole tout le pesant de dessus tes épaules accablées
Les têtes méchantes d'autour de toi
Observatrices vipérines des misères des faibles
Ne te voient plus
Ne sont plus

Equipage de renfort
En mystère et en ligne profonde
Comme un sillage sous-marin
Comme un chant grave
Je viens
Ce chant te prend
Ce chant te soulève
Ce chant est animé de beaucoup de ruisseaux
Ce chant est nourri par un Niagara calmé
Ce chant est tout entier pour toi

Plus de tenailles
Plus d'ombres noires
Plus de craintes
Il n'y en a plus trace
Il n'y a plus à en avoir
Où était peine, est ouate
Où était éparpillement, est soudure
Où était infection, est sang nouveau
Où étaient les verrous est l'océan ouvert
L'océan porteur et la plénitude de toi
Intacte, comme un œuf d'ivoire.

J'ai lavé le visage de ton avenir.

Henri Michaux

vendredi 19 septembre 2008

De la main gauche - Danielle Messia





Je t'écris de la main gauche
Celle qui n'a jamais parlé
Elle hésite, elle est si gauche
Que je l'ai toujours cachée

Je la mettais dans ma poche
Et là elle broyait du noir
Elle jouait avec les croches
Et s'inventait des histoires

Je t'écris de la main gauche
Celle qui n'a jamais compté
C'est celle qui faisait les fautes
Du moins on l'a raconté

Je m'efforçais de la taire
Pour trouver le droit chemin
Une vie sans grand mystère
Où l'on n'se donne pas la main

Des mots dans la marge étroite
Tout tremblants qui font des dessins
Je me sens si maladroit et
Pourtant je me sens bien

Tiens voilà c'est ma détresse
Tiens voilà c'est la vérité
Je n'ai jamais eu d'adresse
Rien qu'une fausse identité

Je t'écris de la main bête
Qui n'a pas le poing serré
Pour la guerre elle est pas prête
Pour le pouvoir l'est pas douée

Voila que je la découvre
Comme un trésor oublié
Une vue que je recouvre
Pour les sentiers égarés

On prend tous la même ligne droite
C'est plus court, ho oui, c'est plus court
On ne voit pas qu'elle est étroite
Qu'il y a plus de place pour l'amour

Je voulais dire que je t'aime
Sans espoirs et sans regrets
Je voulais dire que je t'aime, t'aime
Parce que ça sonne vrai

jeudi 11 septembre 2008

Écrire pour obéir au besoin que j'en ai. Charles Juliet


Gonzo'art

Écrire pour obéir au besoin que j'en ai.

Écrire pour apprendre à écrire. Apprendre à parler.

Écrire pour ne plus avoir peur.

Écrire pour ne pas vivre dans l'ignorance.

Écrire pour panser mes blessures.

Ne pas rester prisonnier de ce qui a fracturé mon enfance.

Écrire pour me parcourir, me découvrir.

Me révéler à moi-même.

Écrire pour déraciner la haine de soi.

Apprendre à m'aimer.

Écrire pour surmonter mes inhibitions,

me dégager de mes entraves.

Écrire pour déterrer ma voix.

Écrire pour me clarifier, me mettre en ordre, m'unifier.

Écrire pour épurer mon oeil de ce qui conditionnait sa vision.

Écrire pour conquérir ce qui m'a été donné.

Écrire pour susciter cette mutation qui me fera naître une seconde fois.

Écrire pour devenir toujours plus conscient de ce que je suis, de ce que je vis.

Écrire pour tenter de voir plus loin que mon regard ne porte.

Écrire pour m'employer à devenir meilleur que je ne suis.

Écrire pour faire droit à l'instance morale qui m'habite.

Écrire pour retrouver - par delà la lucidité conquise

une naïveté, une spontanéité, une transparence.

Écrire pour affiner et aiguiser mes perceptions.

Écrire pour savourer ce qui m'est offert.

Pour tirer le suc de ce que je vis

Écrire pour agrandir mon espace intérieur.

M'y mouvoir avec toujours plus de liberté.

Écrire pour produire la lumière dont j'ai besoin.

Écrire pour m'inventer, me créer, me faire exister.

Écrire pour soustraire des instants de vie à l'érosion du temps.

Écrire pour devenir plus fluide.

Pour apprendre à mourir au terme de chaque instant.

Pour faire que la mort devienne une compagne de chaque jour.

Écrire pour donner sens à ma vie.

Pour éviter qu'elle ne demeure comme une terre en friche.

Écrire pour affirmer certaines valeurs

face aux égarements d'une société malade.

Écrire pour être moins seul.

Pour parler à mon semblable.

Pour chercher les mots susceptibles

de le rejoindre en sa part la plus intime.

Des mots qui auront peut-être

la chance de le révéler à lui-même.

De l'aider à se connaître et à cheminer.

Écrire pour mieux vivre.

Mieux participer à la vie.

Apprendre à mieux aimer.

Écrire pour que me soient donnés

ces instants de félicité

où le temps se fracture, et où,

enfoui dans la source,

j'accède à la l'intemporel, l'impérissable,

le sans-limite.

Charles Juliet

lu sur le blog de http://mariereveuse.over-blog.com/

samedi 30 août 2008

La grammaire est une chanson douce - Erik Orsenna [extrait]


Les mots dormaient.
Ils s’étaient posés sur les branches des arbres et ne bougeaient plus. Nous marchions doucement sur le sable pour ne pas les réveiller. Bêtement, je tendais l’oreille : j’aurais tant voulu surprendre leurs rêves. J’aimerais tellement savoir ce qui se passe dans la tête des mots. Bien sûr, je n’entendais rien. Rien que le grondement sourd du ressac, là-bas, derrière la colline. Et un vent léger. Peut-être seulement le souffle de la planète Terre avançant dans la nuit.
Nous approchions d’un bâtiment qu’éclairait mal une croix rouge tremblotante.
-Voici l’hôpital, murmura Monsieur Henri.
Je frissonnai.
L’hôpital ? Un hôpital pour les mots ? Je n’arrivais pas à y croire. La honte m’envahit.
Quelque chose me disait que, leurs souffrances nous en étions, nous les humains, responsables. Vous savez, comme ces Indiens d’Amérique morts de maladies apportées par les conquérants européens.
Il n’y a pas d’accueil ni d’infirmiers dans un hôpital de mots ; Les couloirs étaient vides. Seule nous guidaient les lueurs bleues des veilleuses. Malgré nos précautions, nos semelles couinaient sur le sol.
Comme en réponse, un bruit très faible se fit entendre. Par deux fois. Un gémissement très doux. Il passait sous l’une des portes, telle une lettre qu’on glisse discrètement, pour ne pas déranger.
Monsieur Henri me jeta un bref regard et décida d’entrer.
Elle était là, immobile sur son lit, la petite phrase bien connue, trop connue :
Je t’aime
Trois mots maigres et pâles, si pâles. Les sept lettres ressortaient à peine sur la blancheur des draps. Trois mots reliés chacun par un tuyau de plastique à un bocal plein de liquide.
Il me sembla qu’elle nous souriait, la petite phrase.
Il me sembla qu’elle nous parlait :
-Je suis un peu fatiguée. Il paraît que j’ai trop travaillé. Il faut que je me repose.
-Allons, allons, Je t’aime, lui répondit Monsieur Henri, je te connais. Depuis le temps que tu existes. Tu es solide. Quelques jours de repos et tu seras sur pied.
Il la berça longtemps de tous ces mensonges qu’on raconte aux malades. Sur le front de Je t’aime, il posa un gant de toilette humecté d’eau fraîche.
-C’est un peu dur la nuit. Le jour, les autres mots viennent me tenir compagnie.
« Un peu fatiguée », « un peu dur », Je t’aime ne se plaignait qu’à moitié, elle ajoutait des « un peu » à toutes ses phrases.
-Ne parle plus. Repose-toi, tu nous as tant donné, reprends des forces, nous avons trop besoin de toi.
Et il chantonna à son oreille le plus câlin de ses refrains.
La petite biche est aux abois
Dans le bois se cache le loup
Ouh ouh ouh ouh
Mais le brave chevalier passa
Il prit la biche dans ses bras
La la la la
-Viens Jeanne, maintenant. Elle dort. Nous reviendrons demain.

-Pauvre Je t’aime. Parviendront-ils à la sauver ?
Monsieur Henri était aussi bouleversé que moi.
Des larmes me venaient dans la gorge.
Elles n’arrivaient pas à monter jusqu’à mes yeux. Nous portons en nous des larmes trop lourdes. Celles-là, nous ne pourrons jamais les pleurer.
-… Je t’aime. Tout le monde dit et répète « je t’aime ». Tu te souviens du marché ? Il faut faire attention aux mots. Ne pas les répéter à tout bout de champ ? Ni les employer à tort et à travers, les uns pour les autres, en racontant des mensonges. Autrement, les mots s’usent. Et parfois, il est trop tard pour les sauver. Tu veux rendre visite à d’autres malades ?
Il me regarda.
-Tu ne vas pas t’évanouir, quand même ?
Il me prit le bras et nous quittâmes l’hôpital.

Erik Orsenna, La grammaire est une chanson douce, pages 85 à 89

mercredi 27 août 2008

L’écriture est un sentier qui nous mène dans l’horizon d’une inspiration...


illustration Samuelle Ducrocq-Henry

Une enfant de 10 ans a écrit :

"L’écriture est un sentier qui nous mène dans l’horizon d’une inspiration qui vient du coeur. Des soupirs d’adieu et des soupirs qui se réveillent, qui viennent de naître dans notre esprit. L’art est notre vie créée sans contrôle.

C’est un passage désespéré qui nous mène à des victoires insensées. La création naît dans l’esprit, on l’a sur la peau, la peinture on l’inspire sur l’extrémité du monde, je le ressens car je suis humaine."

publié , entre autres textes d’enfants, dans "Les éclipses majestueuses : poésie et peinture" Patrick Laupin ; Comp’Act - 2003

vendredi 22 août 2008

Lui qui aurait voulu pouvoir offrir le ciel - W.B. Yeats


de la Callisto à l'étoile polaire


Lui qui aurait voulu pouvoir offrir le ciel

Si je pouvais t'offrir le bleu secret du ciel
Brodé de lumière d'or et de reflets d'argents
Le mystérieux secret, le secret éternel
De la nuit et du jour, de la vie et du temps

Avec tout mon amour je le mettrais à tes pieds
Mais tu sais je suis pauvre et je n'ai que mes rêves
Alors c'est de mes rêves qu'il faut te contenter
Marche doucement, car tu marches sur mes rêves

W.B. Yeats

mercredi 20 août 2008

L'outre-vie... Marie Uguay


André Blavier - Ste Marie, Brume matinale

L'outre-vie c'est quand on n'est pas encore dans la vie, qu'on la regarde, que l'on cherche à y entrer. On n'est pas morte encore mais déjà presque vivante, presque née, en train de naître peut-être, dans ce passage hors frontière et hors temps qui caractérise le désir. Désir de l'autre, désir du monde. Que la vie jaillisse comme dans une outre gonflée. Et l'on est encore loin. L'outre-vie comme l'outre-mer ou l'outre-tombe. Il faut traverser la rigidité des évidences, des préjugés, des peurs, des habitudes, traverser le réel obtus pour entrer dans une réalité à la fois plus douloureuse et plus plaisante, dans l'inconnu, le secret, le contradictoire, ouvrir ses sens et connaître. Traverser l'opacité du silence, inventer nos existences, nos amours, là où il n'y a plus de fatalité d'aucune sorte.

Marie Uguay, l'Outre vie.

Une soudaine révélation,... Virginia Woolf



Une soudaine révélation, une vague comme la rougeur qu'on voudrait arrêter, puis à laquelle on cède, en la sentant s'étendre; on court au bord le plus lointain, et là, on hésite; on sent le monde devenir lourd, tout gonflé de prémices étonnantes, d'un ravissement qui pousse et fait craquer la mince enveloppe et qui jaillit et qui déborde, extraordinairement allègre sur les fentes et sur les plaies. Alors, en cet instant, lui apparaissait une illumination --- un point allumé dans une fleur --- un sens caché presque exprimé.

Virginia Woolf, Mrs Dalloway, Oeuvres Romanesques, Paris, Stock, 1977-1979, tome I, p. 197.

lundi 18 août 2008

Comme les larmes.... René Char

Comme les larmes montent aux yeux puis naissent et se pressent,

les mots font de même.

René Char, Le Bâton de rosier

mardi 12 août 2008

Toucher - Octavio Paz



Toucher

Mes mains

ouvrent les rideaux de ton être

t’habillent d’une autre nudité

découvrant les corps de ton corps

Mes mains

inventent dans ton corps un autre corps

Octavio Paz, D’un mot à l’autre

lundi 11 août 2008

Joë Bousquet, Papillon de neige [extrait]

J’écris, je suis à la recherche d’un mouvement poétique où respire et s’impose la vérité que j’entrevois. D’où vient que je ne peux ouvrir un livre sans y trouver une page qui donne à mon pressentiment une chance supplémentaire d’éclore ?
J’ai baptisé cet afflux l’être en liberté ! Ce que le ciel vient éclairer entre nos mains, ce reflet qui, dans le sable creusé, est comme un grand papillon de neige sur les mains des enfants.
Ce que je vois ou ce que j’ai entre les mains se nie au profit de ce qui veut être. Tout ce que je regarde soudain est fauché d’un coup d’aile. Le papillon de nuit se pose sur les choses laissant dans mes regards des ailes d’air pur.

Joë Bousquet, Papillon de neige, éd.Verdier

vendredi 8 août 2008

SPHINX DE NUIT Colette Magny


SPHINX DE NUIT, sauvage

Unique, royale et mauve
Pour séduire tu te déguises
Au carnaval des orchidées
Tu ne te laisses pas intimider

Qui j'aime me crée
Qui m'aime me crée
Ah j'ai tout à te dire
Et c'est à toi que je le dis
ma "grisante", mon orge de printemps
Ne me laisse pas en suspens
Tu es de ces gens de mer
Dont l'eau peut être meurtrière

De ses grandes tenailles de béton
Le port a grignoté la baie
Les chalutiers dans les zones de pêche
Se perdent en haute mer
Le ressac, par tes lèvres
M'apporte les nouvelles des fonds sous-marins

Mon âme sera forte
Attentive aux méandres et boucles de ta vie
Face aux vents, je narguerai l'onde de tempête
Le héros et le monstre ne font qu'un
Ne te farde pas, je peux supporter
D'entrevoir la mort sur ton visage
Ton amour est le poumon de ma liberté
Plus tard nous boirons le vin
Nous en craignons encore trop l'ivresse

SPHINX DE NUIT .....

Sphinx de nuit est extrait de l'album Kevork qui, je l'espère, est encore disponible. En voilà les paroles, mais évidemment, il manque la magnifique voix de Colette
Amicalement
brigitte

Merci Brigitte vestale de Bagdam...
un site que je vous recommande

Bagdam Espace lesbien
courriel :
bagdam@bagdam.org
Site internet :http://www.bagdam.org/